Proust et le téléphone par Romain Villet
Que fait Marcel Proust à Fontainebleau en octobre 1896 ? Il téléphone ! À qui ? À sa mère bien sûr ! La conversation terminée, il en tire un « petit récit » à peine romancé qu’il joint à une lettre à sa mère, « petit récit que je te demande de garder et en sachant où tu le gardes car il sera dans mon roman ». À la recherche du temps perdu ne commencera à paraître qu’une quinzaine d’années plus tard mais le jeune Proust ne doute pas que l’expérience téléphonique qu’il vient de vivre alimentera son œuvre future.
Très sensible aux voix, passionné par les conversations, il est fasciné par le téléphone. Les évocations directes ou métaphoriques de ce qu’il appelait les « téléphonages » pullulent sous sa plume et leur étude fournit de précieux renseignements sur le travail de l’artiste.
En rendant possible le miracle d’une conversation entre deux interlocuteurs que la distance empêche de se voir, l’invention d’Alexander Graham Bell instaure un nouveau type de relations à l’observation desquelles Proust s’emploiera avec la minutieuse sagacité que nous lui connaissons.
Dans une certaine mesure, le téléphone est à l’éloignement dans l’espace ce que la petite Madeleine est à l’éloignement dans le temps : un moyen de rendre présent ce qui n’est pas ou plus là.
Suivre le fil du téléphone non seulement dans l’œuvre mais également dans la correspondance, c’est tirer le portrait d’un écrivain qui, loin d’être seulement le peintre de la fin d’une époque peuplée de ducs et de duchesses, est aussi le témoin attentif de l’avènement du monde moderne. Mais c’est surtout une façon originale d’entrer en contact ou de poursuivre la conversation avec un génie dont la voix, toujours présente, n’en finit pas de nous toucher et de nous parler.