Romain Villet, Le Cri du Mur
Au romancier James Baldwin, au musicien Miles Davis, au jeune peintre Jean-Michel Basquiat, tous trois morts en Amérique.
La guerre fait rage dans le nouveau monde. Je ne renie pas mes origines mais je ne m’entends pas bien avec les autres nègres. Je trouve qu’être nègre, ce n’est pas tout dans la vie (Grafito vu dans le métro de New York)
Dany Laferrière, Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ?, éd. Serpent à plumes, 2003.
Ça c’est une première page qui va au cœur et vous pète à la gueule ! Pas tant pour Baldwin que je n’ai pas encore lu ni pour Basquiat dont je me fous pour toujours, mais la dédicace à Miles Davis me démasque un frère en goût.
Et quel exergue ! Le grafito, c’est l’éditeur des poètes anonymes. L’auteur de celui-ci a-t-il cru qu’après publication on lui foutrait la paix avec sa négritude ? Il n’a pas même signé. Que sait-on de lui ? Rien, sinon précisément ce à quoi il ne veut pas être réduit : la couleur de sa peau.
Être aveugle, ce n’est pas tout dans la vie. Au lieu de ces vaines proclamations, mieux vaudrait faire mes preuves en m’illustrant loin de la cécité. Mais c’est oublier qu’en réalité, la cécité m’habite, qu’elle ne me quitte jamais, qu’elle n’est jamais loin. Force est, toujours, de faire avec elle, de poser avec elle.
Je ne renie pas mes orbites vides mais je ne m’entends pas bien avec les autres mirauds. Tous les aveugles ne sont pas mes amis. Tous mes amis (ou presque) ne sont pas aveugles. Ce qui m’a instruit sur la manière de composer avec la cécité, c’est moins l’exemple d’autres aveugles que la lecture de Sénèque, de Montaigne, de Nietzsche, de Rimbaud et d’autres grands voyants. C’est avec eux que j’ai été initié à l’art difficile de s’observer au milieu des mateurs.
Je ne connais pas New York. Même si j’y avais pris le métro et que j’étais passé devant ce grafito, je l’aurais ignoré. Combien m’échappe de ces phrases publiques ? Je n’en sais rien mais béni soit l’auteur qui jusqu’à moi relaie la voix des murs !